
1966, la donation de la maison d’Albert Burrus à la commune de Boncourt
Le 7 novembre 1966, Pierre Ader, notaire à Paris et gendre d’Albert Burrus, prononçait une allocution à la mairie de Boncourt, en présence du maire Léon Burrus, du conseil communal du village, des enfants et beaux-enfants d’Odile et Albert Burrus, à l’occasion de la donation à la commune de la propriété du Pâquis ayant appartenu à Albert Burrus. Il exprimait la reconnaissance de la famille Burrus et des héritiers de ce dernier envers Boncourt et ses citoyens. La donation de la maison familiale à la commune était assortie de plusieurs conditions : que le parc soit rendu public et le rez-de-chaussée destiné aux services communaux avec deux appartements à l’étage.
Cette maison a abrité durant plusieurs générations la famille de François puis d’Albert Burrus. Une famille qui a donné deux maires au village, François et Léon et participé à la prospérité de Boncourt avec l’essor de la manufacture. Le couple Albert et Odile Burrus, défenseurs d’une vision humaniste a marqué la vie sociale et communautaire du village, et il est apparu normal à leurs descendants d’associer le nom Albert Burrus à la mémoire de Boncourt.
Le Pâquis d’Albert Burrus
La demeure d’Albert et Odile Burrus a été le lieu d’innombrables réunions familiales. Elle est connue pour avoir hébergé des milliers d’enfants réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale.
Sa vie durant, Albert va poursuivre un grand dessein social à Boncourt. Il considère que la manufacture est le prolongement du foyer familial. Depuis le décès de son père François en 1915, il habite avec sa nombreuse descendance dans la maison paternelle, au Pâquis, près de l’usine. C’est une belle demeure sans luxe ostentatoire. Un grand jardin, le potager, les abris pour les animaux de ferme, l’espace pour les chevaux, constituent le cadre familier.
Albert a à cœur d’inculquer à ses huit enfants et plus tard à ses cinquante-deux petits-enfants des valeurs essentielles d’éducation. Puisant dans la religion les enseignements de la vie quotidienne, il donne à sa famille et aux habitants du village l’exemple d’un homme distribuant sa richesse, ayant toujours une « enveloppe » à portée de main pour soulager la détresse d’autrui ou pour favoriser des projets pour Boncourt : église, école enfantine et primaire, maison des œuvres, sociétés paroissiales.
Albert rappellera souvent à ses enfants, surtout à l’aîné d’entre eux, Léon, l’importance de leur engagement pour Boncourt, les vertus du capitalisme familial en relation avec la manufacture. Homme de territoire, attaché à son village natal, sans briguer un seul mandat électoral, Albert a réuni ses concitoyens autour d’un projet familial et social. Il déplore les méfaits d’une société libérale portée vers l’individualisme et les intérêts matériels, et il n’aura de cesse de souligner durant toute sa vie à son entourage les valeurs du christianisme et celles de la dignité humaine.
Philippe Turrel

Légende de la photo
Nado et Charles Burrus à Boncourt en 1996

Le 14 octobre 1960 décédait Albert Burrus. Fils de François-Xavier et de Maria Burrus, il est né le 4 janvier 1877. Il commence ses études au collège de Dôle et termine sa scolarité à Bâle où il obtient le diplôme de Maturité commerciale. Pour achever sa formation professionnelle, il fait ensuite des stages à la Régie hongroise des tabacs de Budapest, puis achève sa formation complète dans le secteur du tabac en effectuant quatre années de stage dans la manufacture familiale F.J. Burrus à Boncourt, dans le Jura suisse. Le 1er octobre 1901, il épouse Odile François, fille d'un important courtier dans le tabac d'Anvers, en Belgique. Le couple donne naissance à neuf enfants. Albert Burrus, qui est fils unique, eut la joie de compter 102 descendants au terme de son existence.
En 1911, Albert Burrus et son cousin germain Henry accèdent à la gérance de la Manufacture. Ils engagent une audacieuse politique sociale, fondée sur des principes chrétiens, en introduisant en 1917 les allocations familiales. C’est une première en Suisse, et F.J. Burrus figure parmi les pionnières en Europe au palmarès des entreprises en la matière, après les établissements Michelin en France. Albert et Henry Burrus ne s'arrêtent pas à cette seule action. Le personnel, ainsi que les épouses des ouvriers et des employés bénéficient, dès 1919, d’une assurance contre les risques de la maladie. Dans les années 1930, l’entreprise accorde à ses employés les congés payés, finance les primes d’assurance-maladie et les cotisations retraites. Un des points forts de l’action sociale est de favoriser le logement de ses ouvriers. Elle assure aussi le financement de prêts à taux très avantageux pour les ménages construisant des maisons avec jardin. Albert et Henry édifient une politique sociale en avance sur son temps. Leurs fortunes respectives sont mises au service d’innombrables libéralités.
Homme du Jura, profondément enraciné dans sa terre de Boncourt, Albert Burrus a fait partie d'une communauté lui témoignant un véritable attachement.

« Boncourt, le 4 décembre 1966
Cher Monsieur Léon,
L’exceptionnel héritage que Boncourt a l’honneur et la joie de recevoir nous a émus profondément. Ce bâtiment, votre maison paternelle, est le symbole de la vraie famille chrétienne abritant des êtres paisibles, soucieux de dispenser à autrui : joie, générosité, droiture.
Ce beau bâtiment a donc une autre mission. Il est le centre vital de toute la communauté Boncourtoise. Que Dieu qui sait tout le bonheur vécu dans ses murs, toutes les bontés et consolations à tant de monde vous rende grâces et bénédictions, le Merci inimaginable que vous doit, ainsi qu’à votre famille chaque Boncourtois.
Il reste à souhaiter à notre nouvelle mairie une existence heureuse, intelligente et prospère selon vos désirs.
Veuillez croire, cher Monsieur le Maire, à notre gratitude et à nos sentiments les meilleurs.
Louis Jurot et ses enfants ».

Extrait 1
« Vous n’avez devant vous que des Burrus. Si l’on en croyait l’état-civil, il y en aurait parmi nous une dame Nicod, une dame Viellard, une dame André, des dames Ader. Mais l’état-civil ne reflète parfois que des apparences et les dames que je viens de citer sont en réalité restés de vraies Burrus, et qui mieux est, elles ont transformé leurs maris en véritables Burrus ».
Extrait 2
Extrait 3
Légende des photos :
- L'actuelle Mairie de Boncourt (JU).
- Les Burrus et branches alliées Ader, Nicod, André, Viellard. De gauche à droite : Robert Burrus, Maguy Burrus, Pierre Ader, Denise Ader, Henri Viellard, Marie Josée Viellard, Cécile André, Isabelle Ader, Christiane Nicod, Pierre Nicod, Paul Burrus, X, X, Léon Burrus, François Burrus, X.)

Dans le cadre de notre chronique sur les Burrus et le mécénat, voici un autre exemple de la générosité de la branche de François Burrus : la donation de la salle
communale en 1900, aujourd’hui la salle du pont, transformée en hall de gymnastique.
Depuis 1909, François Burrus est maire de Boncourt et député au Grand Conseil bernois, élu en 1892. Devant le manque de locaux pour accueillir une mairie digne de ce nom, il décide de faire don d’une construction, la salle communale, commandée à l’architecte de Porrentruy Maurice Vallat. La famille de François Burrus est à l’origine de cette construction singulière, même si aucune trace de paiement concernant l’édification ne figure dans les comptes de la commune. Le don est anonyme. Les Burrus montrent aussi le souci de construire un bâtiment élégant, aux proportions harmonieuses. L’esthétique et l’intégration de l’architecture dans le paysage est leur préoccupation. Ils font appel à un architecte de renom : Maurice Vallat.
La construction d’un tel bâtiment présente plusieurs difficultés. Maurice Vallat doit faire face à un problème de dénivellation de la parcelle située en bordure de la rivière Allaine. Il réussit le tour de force de tirer profit d’un terrain difficilement aménageable qui lui permet de réaliser une toiture particulièrement élaborée. Le volume construit dans la partie haute de la parcelle est couvert d’un toit en croupe surélevé d’une large lucarne avec couverture en demi-croupe. Au-dessus des fenêtres, la toiture est coupée par des auvents à un versant moins pentu. La partie centrale de la couverture forme en fait la continuité du toit en croupe, tout en étant plus basse d’environ un mètre. Les fenêtres sont recouvertes petites toitures à la Mansart. Enfin, le volume le plus bas est couvert d’un simple versant de toit qui suit la dénivellation du terrain. Le reste de l’édifice se caractérise par des éléments en pans de bois dans la partie haute des façades et des aisseliers qui participent également à cette hiérarchisation des volumes.
L’entrée de la façade nord est creusée dans une niche. Son arc a la particularité de reposer sur deux colonnes de dimensions complètement différentes. Sur la gauche, la colonne ne dépasse pas un mètre et se trouve pratiquement à même le sol, alors que la colonne de droite mesure près de deux mètres et est placée sur un socle d’environ un mètre. Cet arc rampant contribue à faire de cet édifice un monument très original au sein de l’oeuvre de l’architecte Maurice Vallat, qui construira d’ailleurs en 1904-1905 la villa des Chevrières d’Henry et de Jeanne Burrus…
Maurice Vallat (1860-1910)
Biographie. Né en 1860 à Porrentruy, mort à Belfort en 1910. Fils de l'architecte Maurice Vallat père. Formation à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. Très bon représentant de l'architecture 1900 en Suisse. Il importe dans le Jura une manière pittoresque "internationale", qui se démarque du Heimatstil (style architectural ancré dans les traditions locales). Son architecture, surtout domestique, est soumise simultanément aux modes du régionalisme français d'obédience balnéaire, de l'Art nouveau et du rationalisme de Viollet-le-Duc. Réalisations de grande qualité et très "complètes" par le soin des détails, ce qui les rapproche du concept de Gesamtkunstwerk (fusion de plusieurs styles).
Réalisations principales. Villas à Porrentruy: avenue A. Cuenin n° 1 (1900) et 2 (1900), route de Bure n° 21, rue A. Merguin n° 42), immeuble commercial et locatif à Porrentruy (allée des soupirs n° 1), villa Henry Burrus à Boncourt (1909, transformée en foyer de retraite en 1988), église St-Etienne à Bressaucourt (1893-94), clocher-porche de l'église St-Germain d'Auxerre à Movelier (1899-1900), église St-Georges à Montsevelier (1900-1901), institut Bethléem à Immensee, hôtel du Tonneau d'Or et Grands magasins Touvet à Belfort (extrait du dictionnaire du Jura).

En avril 1964, à l’occasion du 150e anniversaire de la manufacture F.J. Burrus, Léon Burrus, un des associés-gérants, annonçait la création d’une bourse Burrus dont la gestion a été confiée au Fonds national suisse pour la recherche scientifique. Celui-ci a versé chaque année 30 000 francs suisses à des privat-docent, des assistants et de jeunes chercheurs dans les disciplines suivantes : sciences naturelles, médicales, morales, juridiques et économiques.
Ainsi, en 1966, le Conseil de la recherche du Fonds national suisse de la recherche scientifique attribuait pour la troisième fois la Bourse Burrus. Pour l’attribution 1966, n’étaient acceptées que les candidatures émanant de l’étude des sciences médicales et vétérinaires. Les 30.000 francs de la bourse ont été remis au Dr Claude-Victor Perrier, docteur en médecine et premier chef de clinique à la clinique médicale thérapeutique de Genève. Le lauréat utilisera cette bourse pour poursuivre, auprès des National Institutes of Health (Bethesda, USA), ses études dans la pharmacologie clinique des affections digestives.
Puis son fils Charles reprenait le flambeau. En 1975, la 11e bourse Burrus, d’un montant de 40 000 francs suisses avait été remise à Berne à François Dessemontet, docteur en droit à Lausanne, en présence des membres du Conseil national de la recherche et des représentants de la manufacture Burrus…

Les Burrus ont donné de nombreuses fêtes à Boncourt. Celle du 26 septembre 2020 s’inscrit dans une longue tradition inaugurée par François Burrus, maire et député du Grand Conseil bernois.
Ainsi, en 1900, à l’occasion de leurs noces d’argent, lui et son épouse Maria Kayser ont mis Boncourt en fête. Dès 5h30 du matin ! Une danse joyeuse réveille les différents quartiers du village, tirant du lit les plus endormis. A 11h30, la fanfare fait son entrée dans leur propriété du Pâquis malgré une fine pluie. Le chef de la fanfare adresse au couple un délicat compliment au nom de la société de musique, dont François Burrus est le président. Puis, au nom de l’ensemble des ouvriers de la fabrique, deux magnifiques corbeilles de fleurs leur sont présentées. Enfin, François Burrus prononce son allocution, rappelant le 25 e anniversaire de l’entrée de différents employés dans sa manufacture de tabac. Au terme de son discours, plus de 300 Boncourtois prennent leur place pour le festin.
Dans une cantine fort bien ornée, un dîner de plusieurs centaines de couverts est servi, réunissant les familles Burrus et Kaiser, toutes les autorités de Boncourt et l’ensemble des ouvriers de la fabrique F.J. Burrus. Une surprise est réservée à ces derniers. Diverses gratifications en argent, variant suivant les années de travail, sont déposées dans leurs couverts. François Burrus montre ainsi à sa manière que la question sociale est toujours au coeur de ses préoccupations. Différents toasts sont portés en l’honneur des deux jubilaires. Des productions de musique et de chant, diverses chansonnettes, la lecture d’une touchante lettre des ouvriers à François Burrus témoignent de l’amitié qui a régné durant cette journée du dimanche 2 septembre 1900.

Au décès de M. Kilcher, François Burrus (1844-1915) devient, en 1909, maire de Boncourt. Il s’engage avec ardeur dans le développement de son village. Il s’investit dans la création de la gare de Boncourt. En 1912, il aura la grande satisfaction d’inaugurer l’arrêt du premier train. Au Grand Conseil de Berne, en 1892, il occupe la place de député catholique. Il se crée un grand cercle d’amis, et ses avis, notamment dans les commissions dont il fait partie sont très écoutés. Dans les questions d’intérêt public, il travaille avec beaucoup de dévouement au sein de l’association des maires du district de Porrentruy, de la Société d’agriculture d’Ajoie, du Conseil d’administration du chemin de fer Porrentruy-Bonfol, des différents comités, conseils et associations du Jura.
Il fait partie de la commission permanente de surveillance des prisons du canton, du conseil de la Banque cantonale de Berne et de la Société d’embellissement du Jura, du comité d’initiative du Porrentruy-Damvant et est administrateur de plusieurs sociétés industrielles.
Réputé pour avoir un caractère droit, franc et loyal, ennemi des luttes politiques et partisan de la paix entre tous, il prêche la conciliation et sa grande cordialité lui a conquis des amis dans tous les partis. Il occupe le poste de juge de Paix et durant la Première Guerre mondiale, il se signale par son dévouement aux plus déshérités et aux réfugiés français. Industriel dans les tabacs, il reprend la manufacture paternelle avec son frère Joseph en 1876, avant de la transmettre à son fils unique Albert en 1911.